samedi 31 mars 2007

Amibes & Cie

Je me demandais en combien de temps ca viendrait, alors voila, les premiers coups durs de mon aventure indonésienne sont tombés. On peut appeler ca désenchantement ou déception, mais c’est quand même trop fort, je ne repartirais pas d’ici si on me le proposait. La déception vient surtout de ma vision des gens autour de moi, que ce soit ceux que je connais ou ceux que je ne fais que croiser, les lieux aussi, enfin les situations.
Désenchantement, c’est un peu voir tout d’un coup les mauvais côtés d’ici, en l’occurrence les amibes que j’ai chopés, un coup de pas de chance mais qui a des conséquences un peu chiantes, d’où effet sur un moral fragilisé par la situation (quoi vous croyez encore que je passe ma vie sous un cocotier avec des beaux mecs autour de moi ? Pour les uns comme pour les autres, j’attends encore…), et aussi le manque de vie sociale, qui s’impose une fois les premiers contacts établis.

Un peu de culture, les amibes c’est quoi ? Des saloperies de bactéries, qui peuvent s’infiltrer dans les intestins quand on a eu la mauvaise idée de boire la mauvaise eau ou de manger la mauvaise bouffe dans le mauvais resto… bref le résultat est un certain désordre intestinal (quelqu’un a besoin de précision ?), assez douloureux, avec des hauts et des bas, donc un peu dur psychologiquement. Bref je me suis forcée à aller voir un médecin (total 200 euro, 7h en voiture en cumulé et des prélèvements inédits pour moi), et j’ai eu raison car ces petites bêtes peuvent devenir très méchantes, en particulier en allant foutre la merde (sans mauvais jeu de mot) ailleurs dans l’organisme… Donc il faut s’en débarrasser, ca se fait de façon très efficace avec des médocs. La on me dira alors de quoi tu te plains tu vas guérir. En fait les effets secondaires sont assez costauds (j’en suis au premier jour alors je ne fais qu’imaginer) et chiants, entre autres sport interdit.
Bref tout cela parait un peu léger pour un désenchantement, mais disons que j’avais commencé à me faire ma petite (balbutiante, OK) vie sociale hors de l’entreprise et des 3-4 autres expatriés, entre autres grâce a l’ultimate. D’ailleurs le tournoi de Bali, j’en rêverais presque la nuit, mais du coup c’est compromis car si tout se passe bien j’aurais arrêté le traitement quelques jours avant… Donc voila, tout ca a cause de ces sales bestioles je suis privée de mon activité extra-boulot préférée (et unique, car on sort le week-end mais entre gens de l’entreprise alors ca compte pas a 100% comme extra-pro), de mon sport, nécessaire a mon bon équilibre physique et psychologique parce que quand même bosser plus de 8h par jour ca tape un peu sur le système et de ma vie sociale extra-pro, tout ceci étant lié comme j’essaie de l’expliquer. Bref en 3 mots, ca fait chier (et encore une fois, sans mauvais jeu de mots).

Une légère déception concerne donc aussi la vie sociale, on est un peu en vase clos, j’ai besoin de plus d’interaction, avec plus de gens différents, faire la fête le week-end (enfin, au moins le week-end, mais la semaine je suis trop fatiguée), rencontrer des gens etc. Ici les autres expats sont plus vieux, leur dernière année d’études ne remonte pas a seulement quelques mois, ils aiment leur confort et leurs pantoufles (et je les comprends très bien). On ajoute à ca que la première copine que je peux me faire passe parfois des soirées à lire le Coran avec d’autres nanas et je cherche encore ce qu’on a en commun. Pas d’offense pour elle, elle est adorable et j’ai été très touchée par les marques d’intérêt qu’elle me porte. Mais desolee, je ne viendrait pas jouer au badminton a 8h le dimanche matin.

En tout cas cela m’amène à mon sujet de réflexion et d’interrogation principal : qui sont les Indonésiens ? Et Indonésiennes bien sur…
Ces gens qui nous dévisagent ouvertement, mangent du riz qui pue a tous les repas, parlent une langue sans grammaire (nom moi Borat), vivent au rythme de leur religion plus que dans d’autres pays musulmans pourtant plus intégristes, mettent des voiles a des petites filles d’a peine 4 ans, montrent toujours un visage égal et si difficile a interpréter…
Il y a des façons faciles de les cerner, pour certains ce sont simplement des faignants, pour d’autres la mauvaise alimentation pendant l’enfance nuit au développement de leur cerveau, d’autres encore évoquent les seulement 50 ans d’indépendance du pays ou l’importance trop élevée de la religion dans leur vie, parfois au détriment de choses qu’on a tendance à placer toujours au premier plan (enfin surtout le boulot).
Comment ne pas s’énerver quand a chaque fois qu’on dit merci a quelqu’un, et dans sa langue SVP, on s’entend répondre un yeah trainant et sans conviction ? Ou que quand dans un resto vide on attend une demi-heure un jus de fruits (ils sont partis cueillir les fruits ou quoi ?) ? Ou encore quand on voit des parents balader sur leur moto des gamins sans casque ? Ou quand les employés ont une fâcheuse tendance à essayer de gratter quelques euros de toutes les manières qui leur passe par la tête ?

Mais je trouve ca trop facile de juger aussi vite et de manière aussi globale la population entière d’un pays.
Pour commencer, la lenteur de certaines choses, le manque de réactivité que semblent montrer un grand nombre d’Indonésiens ainsi qu’un désintérêt flagrant pour certaines choses qui nous paraissent particulièrement importantes, peuvent s’expliquer, si on essaie quelques instants de sortir de notre vision bien occidentale de la vie. Apres tout, on est ici aussi pour comprendre que notre manière de penser n’est pas universelle. La lenteur et le manque de réactivité peuvent être mis en opposition avec un stress et une poursuite effrénée du profit et du rendement qui ont un sens dans notre culture et collent avec notre mode de vie. Mais ce mode de vie et d’organisation ont été imposés à des populations colonisées. Pourquoi ont-elles été colonisées ? Parce qu’elles étaient plus faibles, moins développées… ou alors parce qu’elles ne cherchaient pas à se développer, justement, de la même manière que nous. Parce que leurs valeurs ancestrales, leur histoire et leur situation ne les poussaient pas à ce type d’évolution qui a été le notre. Par contre ces populations n’ont pas refusé les progrès qui ont été amenés par les colonisateurs : médecine, confort, puis plus tard télévision ou junk food… Ils se sont d’une certaine manière retrouvés piégés dans un mode de vie inadapté à leur mentalité, à leur histoire et à leur milieu, qui ne les avaient pas préparés à faire face au nouveau mode de fonctionnement, dont ils ne pouvaient plus se séparer. Et justement, qu’est-ce que 50 ans d’indépendance face a plusieurs centaines voire de milliers d’années de développement propre ?
Quant a la religion, quand on connait la puissance qu’elle peut avoir sur l’esprit des gens, on comprend que ce n’est pas la population d’un pays qu’on juge mais la doctrine abrutissante et infantilisante qui a les mêmes effets sur certains adultes français élevés de façon laïque et sur n’importe quel enfant de n’importe quel pays a qui on la présente, des le plus jeune âge, comme la vérité vraie et la croyance qui doit guider sa vie. Quand en plus des mauvaises conditions de vie, injustices, catastrophes naturelles (fréquentes en Indonésie), perturbent et déstabilisent les esprits, comment peut-on s’étonner que nous, Français privilégiés et surs de nous et de nos valeurs, soyons si incompris et si décalés ici ?



Quant aux autres questions, il ne doit pas être très difficile de leur trouver une réponse. Par exemple, a-t-on pensé une seconde au salaire de ces employés qui essaient de nous gratter par des moyens parfois si évidents ? Et au notre ? Quant au travailleur faignant, si jamais il est en train de passer par la même crise d’amibes que moi, je peux comprendre qu’il ait du mal à se bouger le cul, rien que le fait d’être debout était difficile par moments…

Mais ce qui est sur, c’est que les situations ne sont pas toujours faciles accepter, entre autres les Indonésiens ne sont pas très forts pour comprendre qu’on peut être différents d’eux, et ils ne se gênent pas pour le faire sentir. En même temps encore une fois quand on voyage on a cet avantage d’en avoir plus vu que celui chez qui on est, donc on se doit d’être celui qui a le plus d’ouverture d’esprit et qui comprend que l’autre en face en a moins.

J’espère que cette réflexion n’apparait pas trop négative, et qu’elle ne sera pas mal interprétée. J’adore être ici, mais ce n’est pas facile tous les jours d’être loin de chez soi, de ses amis et de sa famille et de ne pas toujours comprendre les gens qui nous entourent. Ce qui est a la base une bonne attention nous apparait parfois comme un harcèlement idiot, les rires nerveux qu’on peut prendre pour des moqueries sont peut-être des manifestations d’inconfort face a des étrangers intimidants… Mais pourquoi devrait-on demander à ces gens de nous comprendre alors que nous en sommes incapables ? Apres tout c’est nous qui venons chez eux, c’est nous qui avons accès a la comparaison entre deux cultures, a l’ouverture d’esprit favorisée par notre statut social. Mais parfois la moindre contrariété apparait comme un aspect d’une conspiration générale et amène à se demander : mais qu’est-ce-que je fous ici ? A quoi est-ce que je pensais quand j’ai signé pour ce boulot ? Mais si c’était à refaire, je referais pareil… rien que pour le dépaysement, la découverte, les sourires et l’accueil des Indonésiens, et bien d’autres choses…

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