Quand on m’a demandé, quand je suis rentrée de 5 semaines sur le terrain, de raconter (la traditionnelle question « alors c’était comment ? Raconte… »), je ne savais pas par ou commencer. Finalement par écrit c’est pareil. Tout se bouscule un peu, les premières impressions, les découvertes, l’adaptation dans l’Indonésie profonde, la vraie peut-être si tant est qu’il y en ait une. L’Indonésie est loin d’être un pays homogène, mais finalement c’est surtout une formule pour touristes. C’est évident que tous les pays recèlent plusieurs « vérités », tout dépend de l’approche qu’on a de ce pays (natif, touriste, expatriés,... plus les sous-catégories de ces catégories principales). En tout cas ce que l’on peut dire c’est que le coin n’était pas touristique, à peu près au milieu de Kalimantan Est. Kalimantan est le nom de la partie indonésienne de Bornéo, qui est une grande ile au Nord de Java. Il y a un peu de tourisme sur Bornéo mais pas tant que ca, quelques excursions dans la jungle et des réserves, surtout pour la protection des orang-outans. Pour arriver à Badak, il faut déjà prendre l’avion, pour arriver à Balikpapan, dans Kalimantan Est, qui est la grosse ville pétrolière du coin, avec toutes les bases opérationnelles des compagnies pétrolières et prestataires de services (comme ma boite). Je pense que la taille de la ville est surtout due à l’industrie pétrolière, on voit beaucoup d’infrastructures et le port a l’air assez actif. La ville en elle-même n’est pas franchement jolie, assez polluée (les montagnes de détritus sur la plage, c’est moche, mais quand les gosses se baignent au milieu, ca laisse une drôle d’impression). De Balikpapan, en 3 ou 4 heures de voiture on arrive à Badak, un des villages autour duquel et dans lequel de nombreux puits ont été creusés. Le village devait être assez traditionnel au début, les habitants vivant de la pêche et de la culture de la noix de coco, un peu de la chasse aux crocos aussi (très recherchée, la bite de crocodile est sensée donner la puissance sexuelle a qui la mange). Puis une compagnie pétrolière est arrivée et des bases se sont construites, ainsi que les puits bien sur. Donc si on trouve la vraie Indonésie là-bas, elle est quand même un peu « polluée » par l’industrie pétrolière.
Pendant que j’étais là-bas, j’habitais dans la base de l’entreprise indonésienne pour laquelle je bosse ici. En gros ca consiste en des bâtiments pour le support technique (mécanique, outils, bureaux), des bâtiments de chambres pour les opérateurs, lingerie, etc. et un bâtiment en bois sur pilotis au-dessus d’un petit étang, ou se trouvent les salles communes (salle à manger + cuisine, salle télé, terrasse avec ping-pong). Ma chambre était dans ce bâtiment, en fait la chambre de l’ancien patron qui ne vient jamais. Ca me donnait le privilège d’une salle de bain a l’occidentale avec toilettes privées et douche (enfin tuyau) privée aussi. On n’oublie pas la clim dans la chambre. Les lieux ne sont pas désagréables, le petit étang est mignon (enfin sauf que c’est la que se déversent les toilettes), on en ferait presque une colonie de vacances.
Les alentours sont assez marquées par l’exploitation pétrolière, pleins de pipelines parcourent la campagne, on voit des torches bruler, des puits aux détours des chemins… Les routes sont en terre, du coup quand il pleut c’est marrant ca fait des pistes de rallye. Ce n’est pas très densément peuplé, on croise quand même du monde a moto essentiellement, un peu a pied et rarement en voiture (sauf voitures d’autres compagnies). Les maisons sont en bois sur pilotis, le long de la route, avec parfois une petite mosquée, parmi les seuls bâtiments en dur. Certains habitants transforment le devant de leur maison en petit magasin-bazar. Peu de maisons ont l’eau courante, le matin on aperçoit souvent des gens qui se lavent a la bassine derrière une bâche tendue entre des piquets. La vie des locaux a l’air assez simple, assez pauvre aussi. Ca fait bizarre d’observer ces gens, qui en retour sont en général assez surpris de me voir. Même si il y a pas mal d’expatriés dans le coin, il n’y a pas beaucoup de femmes.
La journée type commence à 4h45 par l’appel à la prière de la mosquée de la base, qui me réveille a peine si même il me réveille. Le petit dej ensuite, de 5 a 6, des typiquement indonésien, riz, nouilles frites, œufs, trucs non identifiés. Du jus de fruits en brique et du pain ou des pancakes viennent me sauver du riz omniprésent. En effet les mecs ont l’air de ne pas comprendre pourquoi les étrangers ne mangent pas du riz à tous les repas. Pour un Indo, un repas sans riz n’est pas un vrai repas… Sur les coups de 7h, les chefs des équipes reviennent de la base de la compagnie pétrolière avec les programmes pour la journée et on commence à préparer les voitures et à embarquer pour rejoindre le puits concerné pour la journée. Le moment d’attente est je pense, surtout au début, le plus difficile de la journée. Imaginons : je suis la seule nana et seule étrangère de la base. Les mecs sont tous des opérateurs donc pas forcément des flèches en général et comme je l’ai déjà fait remarquer pas éduqués franchement comme on entend l’éducation en Europe. Donc je me fais harceler de questions débiles et répétées, de prises de photos, de ricanements, de regards interrogatifs. C’est aussi pour moi le moment de tâter le terrain, de voir qui sont les plus chiants et qui je ne veux vraiment pas suivre sur le terrain.
Je ne rentrerai pas dans les détails de la journée sur le terrain, en tout cas pas du boulot en lui-même car ca serait trop long et je ne sais pas jusqu’ou j’ai le droit d’aller. Mais en gros le boulot est bourrin et physique, pas très intellectuel, et laisse beaucoup de temps libre (i.e. on se fait chier parfois). La pause déjeuner est un moment intéressant, la boite repas est un peu déconcertante au début, remplie de nourriture indonésienne bien sur, une portion de riz évidemment, dans un papier, et des portions de poisson, viande ou poulet, légumes, autres, dessert et fruits dans des sachets en plastique. Pas de couverts, on mange avec les mains, un sachet plastique peut être utilisé pour faire gant (c’est quand même plus pratique). Au début on se dit qu’on va apporter une cuillère pour s’aider mais en fait c’est plutôt rigolo de manger avec les mains, ca fait rire les operateurs et ca permet de briser un peu la glace…
L’interaction avec les opérateurs pendant la journée dépend pas mal d’avec qui je suis. Avec certains on discute presque, il y en a quand même quelques-uns qui parlent presque anglais. D’autres n’essaient pas trop de parler, ils sont timides ou alors de mauvais poil (ne parlent a personne). Il y a aussi ceux qui ne comprennent rien en anglais mais veulent absolument parler, mais la ca devient vite relou, je peux pas donner des cours d’anglais grand débutant a la moitié des operateurs de la base. En plus qui va me dire l’intérêt de poser une question si tu ne comprends pas la réponse ? Enfin c’est pas méchant tout ca, juste une peu lourd, et même très lourd parfois quand je suis fatiguée ou un peu énervée par une journée longue, pas toujours facile (chaleur, moustiques, boulot chiant) et une impossibilité a m’exprimer a quelqu’un d’autre qu’a moi-même… Je pense que c’est ce qui a été le plus pesant pendant ces quelques semaines : ne pas pouvoir avoir une conversation évoluée, d’une part parce que personne ne parle suffisamment bien anglais et parce que je ne parle pas assez bien indonésien non plus, et d’autre part car je n’ai objectivement pas grand-chose à partager de mes états d’âmes et de mes réflexions avec mes « potes » operateurs. Mais on en fait son parti, je noircissais des pages de mon carnet pendant la journée, finalement quand le cerveau tourne en vase clos on réfléchit a des choses auxquelles on n’a peut-être pas trop le temps ni l’envie de penser, et ca peut vite devenir philosophique. Mais comment mieux réfléchir sur sa vie quand on s’en trouve projeté si loin, tant géographiquement que culturellement ? C’est un peu une mise en abyme, un éclairage différent, l’impression d’un autre monde qui parait presque irréel.
La soirée n’était pas riche en événements, au début même je n’avais rien à faire. Apres le retour, quelques abdos et pompes histoire de dire que je ne deviens pas une larve, bonne douche (froide), le diner était encore une occasion de socialiser. La pour ceux qui ne savaient pas en fait les Indonésiens mangent avec les mains, même quand il y a des couverts a disposition. Enfin pas tous, surtout quand je suis la… le menu du soir ressemble étrangement a celui du matin et du midi, avec du riz bien sur, du poulet, du poisson, des légumes. Des patates étaient en général au menu, ca permet d’échapper au riz (je n’ai rien contre le riz mais plus d’une fois par jour ca commence à être trop). Bref un petit buffet pas fameux mais de quoi se rassasier. En plus on peut demander des trucs spéciaux a la cuisine, mais ce n’est pas recommandé, en général les indonésiens sont bien incapables de cuisiner a l’occidentale…
Les derniers temps, entre les rapports à envoyer tous les soirs, les outils à nettoyer, je finissais parfois ma journée a 20h, voire plus tard. Sinon j’allais au bar du coin boire quelques bières, le problème c’est que ca pouvait se finir vraiment tard et dans ce cas-la le réveil était franchement dur le lendemain.
Au bout de quelques temps, quand les opérateurs se sont un peu habitués à moi et que j’ai commencé à pouvoir m’exprimer un peu en indonésien, les choses se sont arrangées. Une légère interaction était alors possible, des relations un peu plus intéressantes, et je me suis fait quelques potes parmi les rares qui m’avaient traitée comme une personne normale des le début et pas comme une bête curieuse échappée d’un zoo. En gros les plus malins et ouverts du lot. D’où quelques soirées, passées à boire des bières, chanter au karaoké du bar du coin. Sympa, on se sent un peu moins larguée au fin fond de la jungle et un peu plus comme expat d’un genre spécial.
En effet c’est la première vraie occasion que j’ai eue de rencontrer et de vivre avec des indonésiens. L’intérêt aussi était qu’ils venaient de toute l’Indonésie, enfin essentiellement Java, Sumatra, Sulawesi et quelques-uns de Kalimantan aussi. Très peu ont été a l’université, et en général pas pour bien longtemps. La plupart sont mariés, parfois plusieurs fois (la polygamie est autorisée pour les musulmans) et ont des gosses, parfois 5 ou 6. Comme je l’ai déjà dit c’est pas des mecs très fins en général, mais franchement pas méchants et même un peu timides sur les bords. Entre eux ils font les malins mais en face de moi la plupart cachaient leur « vraie » nature pour essayer de passer pour des bons gars. Alors qu’ils essayaient d’engrener un de mes collègues (qui a eu le malheur de dire qu’il était célibataire) pour aller au coin a putes de Badak, aucun n’a jamais admis devant moi y aller (alors que les 3/4 y vont très régulièrement).
A la fin aussi, mon boulot était un peu plus intéressant car je testais des équipements en opération, donc j’avais une petite responsabilité et un vrai rôle dans l’équipe. Le boulot sur le terrain n’est pas facile tous les jours, mais en même temps ca donne l’occasion d’avoir des relations de travail d’un genre totalement différent, on fait vraiment partie d’une équipe, les conditions difficiles soudent plus que le partage d’un bureau et d’une machine a café. Au bout d’une semaine avec la même équipe, je me suis presque sentie triste de partir, même si ca n’a pas duré bien longtemps… Le programme du weekend de retour à la civilisation était bien chargé.
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